A la recherche de je ne sais quoi ( L I B R E )

Nirvana s'était finalement habituée à la solitude. Après la totale panique du début, elle s'était rendue compte que les chevaux sauvages étaient généralement assez indépendants, même en ayant le besoin de vivre en groupe. Elle l'avait appris de ses quelques rencontres... et s'y était maintenant faite. Mieux, elle commençait à prendre goût à cette liberté totale et à cette indépendance. Après quelques ballonnements, elle avait réappris quelles plantes étaient bonnes et lesquelles ne l'étaient pas. Elle avait appris à regarder où elle mettait les pieds après les avoir posé là où les hommes le lui disaient. Elle avait appris à contourner les obstacles avec ingéniosité, à se protéger du vent lorsqu'il glaçait le sang, à se trouver de l'ombre quand le soleil tapait et à dénicher de beaux carrés d'herbe verte et de l'eau claire. Elle avait donc réappris les instincts primordiaux des équidés. En revanche, ce qui lui manquait encore, c'était le savoir vivre. Respecter la zone de protection de l'autre, elle n'y pensait pas forcément. Il faut dire qu'en box, elle était systématiquement violée vu la superficie de la chambre. Elle avait aussi appris à se méfier et à ne pas courir vers un inconnu pour faire connaissance, contrairement à ce qu'on fait en captivité. Ici, certains ne sont pas très heureux de vous accueillir. Elle avait donc encore beaucoup de choses à apprendre - ou à réapprendre. Cela dit, si elle le sentait, elle n'arrivait pas à être gênée avec les autres chevaux. Elle était nature, et tant pis si on la prenait pour une vieille pouliche immature. Elle croquait la vie à pleines dents, il y avait tellement à découvrir !


Ce jour là, elle s'était rapatriée sur les prairies d'herbe bien verte. Cet endroit était devenu l'un de ses favoris, qu'elle ne quittait que par soif ou par curiosité. Et alors qu'elle somnolait doucement en ce début de nuit, elle sentit un mouvement brusque dans les parages. Elle ouvrit les yeux et instantanément, ses sens se remirent en alerte. Elle distingua alors un petit être tremblant dans les hautes herbes.. un poulain ! Elle n'en avait presque jamais vu. Et surtout, jamais eu. Non pas qu'elle l'aurait voulu, mais sa nature lui insufflait de faire perdurer son espèce. Doucement, elle s'approcha de ce jeune équidé. Ne voulant pas l'effrayer, elle se manifesta par un souffle bruyant. Elle s'arrêta à quelques mètres de lui, le regardant. Il avait l'air triste. Elle n'avait pas l'habitude de voir ça, sauf quand ses amis s'étaient faits grondés par leur cavalier sans savoir pourquoi. Elle ne savait pas que la tristesse existait aussi loin des hommes...

Le petit poulain semblait hypnotisé par la petite jument ébène. Celle-ci le laissait approcher placidement, attendant, regardant. Paisible, elle ne demandait qu'à voir ce petit être joyeux de nouveau. Pas un instant elle ne songea à le repousser, il lui faisait tellement de peine ! Finalement, il pila, et repartit, aussi triste qu'avant... Nirvana le suivit lentement, tête basse. Elle ne voulait pas le laisser tout seul, il lui paraissait bien trop faible et démuni pour survivre seul. Finalement, elle s'arrêta et releva la tête. Un petit poulain tout seul. Elle avait envie de le protéger. Sans savoir pourquoi ni comment. Elle n'avait jamais eu de poulain, ni de lait. Elle n'avait jamais rien connu d'autre que les hommes, et ses amis captifs. Là-bas, on veillait mutuellement sur les uns et les autres. Pourquoi pas ici ? Dans ce monde là, les chevaux étaient bien plus distants. Elle voulait retrouver cette sensation d'avoir un ami, un vrai, et de pouvoir l'aider. Surtout si cet ami était aussi petit et faible qu'un jeune poulain seul. La jument souffla légèrement et brisa le doux silence de la nuit.


" - Que fais-tu ici tout seul ? Où est ta maman ? "


Des questions bien vagues, mais la curiosité maladive de l'arabe exigeait une réponse. Une légère brise fraîche s'éleva, et ses crins fins se soulevèrent doucement. Le clair de lune faisait miroiter son poil avec des reflets bleutés. Dans l'obscurité environnante, elle distinguait mal le petit être. Mais chez elle, seule son étoile blanche sur le front était parfaitement visible. Le reste n'était qu'une ombre fine et noire qui se découpait sous la lune.

Nirvana mit un bout de temps avant de comprendre ce que disait le poulain. Pourquoi l'aurait-elle chassé ? Les autres juments faisaient ça ? C'était bien la première fois qu'elle était contente de ne pas être une jument comme les autres - elle ne tenait pas à devenir aussi cruelle !

" - Excuse-moi si je te dérange, je t'ai suivi par curiosité en fait... enfin si tu veux je m'en vais hein ! Pourquoi je ne te chasse pas ? Eh bien... je ne suis pas vraiment comme les autres juments, je ne connais pas trop les moeurs et habitudes des juments sauvages en fait. Je n'ai pas été élevée comme ça, et j'ignorais qu'en général, les juments étaient agressives avec les poulains comme toi... Moi tu sais, je n'ai jamais eu de poulain, alors... "

La jument ébène avait comme l'impression qu'elle venait encore - une fois de plus - de faire jouer sa maladresse incurable. Le poulain sembla d'un coup très triste, comme si elle avait dit une bêtise - ce qui, naturellement, était le cas. Et quitte à pousser la maladresse jusqu'au bout, autant y aller franchement ! Une fois de plus, elle avait la preuve de la cruauté des humains. Ice lui en avait déjà donné un aperçu en lui racontant comment ses parents avait été massacrés, voilà qu'à présent, ils s'en prenaient aux chevaux par avion ! Comment pouvaient-ils ensuite être si doux avec d'autres chevaux, comme ils l'avaient été avec elle avant son débourrage ? Elle ne comprendrait jamais ces humains, mais elle commençait à se dire qu'elle avait vraiment, vraiment bien fait de les quitter, de s'enfuir pour ne jamais revenir. Vive la liberté !

" - Je suis désolée pour tes parents... Est-ce que tu voudrais que je m'occupe de toi ? Je ne remplacerais pas ta maman, bien sûr - je m'y prendrais sûrement très mal - mais j'aurais des remords à laisser un petit poulain sans défense comme toi seul, dans la nature... Je ne sais pas trop bien encore ce que je pourrais t'apporter, mais j'aimerais bien essayer. Si tu es d'accord ? "