Mirage au box

Samedi seize octobre deux-mille-dix, un peu avant onze heures.
Sasha scrutait les alentours à partir de la fenêtre de sa chambre. Cela faisait presqu’une semaine qu’elle se trouvait perdue en plein milieu de l’Oklahoma, et elle n’arrivait toujours pas à se faire aux couleurs et aux différents paysages – qui se ressemblaient tous, au passage. Elle regrettait sincèrement la grande-ville ... Et puis, de toute façon, c’était inutile de s’apitoyer ainsi sur son sort ! Elle voulait montrer à son père qu’elle aussi elle arriverait à survivre dans cet univers hostile qu’est la campagne. Un univers qui ne l’attirait pas plus que ça, au contraire de certaines personnes qui venaient ici pour leur baptême de la liberté ... ou pour une overdose de verdure, peu importe. La concernant, elle venait ici parce qu’elle ne voulait pas faire un trait sur sa fierté et sa dignité. Parce que lorsque Miss Callaway veut prouver quelque chose, elle le prouve, d’une façon ou d’une autre. Raffolant de défis, elle ne pouvait pas refuser celui que lui avait lancé son père, aussi futile et inutile soit-il ! De plus, son cheval était arrivé hier et elle comptait bien aller lui rendre une visite ce jour-ci, à contrecœur néanmoins. Elle n’était guère emballée par l’idée de revoir sa passion d’enfance. Malgré ce dégout vis-à-vis de ces animaux, elle était curieuse de découvrir son attribution ... ou pas.
Traîner aux écuries ne lui permettait pas de s’habiller comme d’habitude ... Tant pis, elle ferait un maigre effort sur son style vestimentaire ! Se décrochant de l’appui de fenêtre, toujours en pyjama, elle se dirigea vers sa garde-robe et en sortit un slim noir, un long tee-shirt blanc avec un léger décolleté, une ceinture décorative noire en cuir et un petit chapeau ébène. Elle prit rapidement sa douche, histoire de se réveiller un peu mieux, s’habilla et n’oublia pas les nombreux accessoires qui accompagnaient ses tenues de toujours, à savoir quelques longs colliers et de nombreux bracelets sombres. Ceci dit, elle en mit moins que d’habitude ... Elle refit le contour de ses yeux avec de l’eye-liner, se brossa les cheveux – qu’elle laissa flottants sur ses épaules, et termina de se préparer en glissant ses pieds dans des bottines. Cela fait, elle se tortilla devant le miroir plaqué sur la porte de son armoire afin de voir si le résultat donné lui plaisait. Oui, ça allait. Simple, certes, mais raffiné !
Il ne lui fallut pas plus de quelques minutes pour pénétrer dans la chaleur des écuries. Le petit talon de ses chaussures claquait sur le sol et eut le don de faire sortir quelques grosses têtes équines des différentes stalles. Mais une seule devait intéresser l’américaine : Mirage du Badon. Les traits tirés par une certaine colère, une certaine rage et une certaine incompréhension, elle continua à avancer dans l’allée, ralentissant de plus en plus jusqu’à tomber, avec horreur, devant le box de sa prochaine monture. Ravalant ses émotions, elle s’approcha et s’appuya sur la porte, remarquant enfin la petite arabe couchée dans la paille. Un goût amer lui remonta dans la bouche. Elle n’avait pas espéré cela ... Elle n’avait pas pensé à quel point elle était furieuse à chaque fois qu’elle se trouvait face à un équidé ... M’enfin, elle allait devoir faire avec. C’est pourquoi, dans un soupir las, elle lâcha :

- Alors c’est toi, Mirage.

Une voix murmurait pleinement à Sasha de quitter ces lieux immédiatement ... Seul problème : elle n’était pas du genre à écouter sa bonne conscience. De toute façon, elle ne voyait pas ce qu’elle pouvait faire comme bêtises – mis à part frapper un animal ou, en tant qu’adolescente torturée aux tendances pyromanes, foutre le feu aux écuries. Ca serait chose facile, en raison de la quantité de foin et de paille – donc de matériaux secs – qui s’y trouvaient ... Toutefois, elle s’opposa à cette amusante idée. D’accord, elle était du genre à ne rien respecter, pas même les lois ... Cependant, elle se refusait catégoriquement à passer un minimum de temps en prison à cause d’une bêtise ! Cette pensée, tout comme le fait que Mirage hennit, ne fit que raffermir sa mauvaise humeur du jour. En effet, à l’entente de son prénom, l’arabe s’était relevée à une vitesse éclair et s’approchait de la porte, un éclat de curiosité dans les yeux. La brunette la fixa, ne sachant que faire. Elle était partagée entre l’irrésistible envie d’hurler un bon coup et de détruire tout ce qui lui passerait sous la main, de s’enfuir à toute jambe ... ou de rester là à mijoter une vengeance envers les animaux qu’elle détestait désormais tant. Ok, optons pour la troisième option.
Tout à coup, réaction inattendue et imprévisible de l’équidé, ce dernier se mit à paniquer et recula vivement vers le fond de sa stalle. Euh ... Que se passait-il ? Ha ! Un cheval peureux ! Evidemment, il fallait que ça tombe sur elle, ce genre de chose ... Il fallait dire qu’elle préférait nettement des étalons têtes brûlées et courageux, que des juments peureuses et nerveuses ... M’enfin, là encore, elle allait devoir s’y habituer, à son plus grand regret. « Maudit sois-tu, papa » se murmura-t-elle avec rage, ses yeux toujours posés sur la robe luisante de l’animal. Celui-ci dégustait maintenant quelques brins de foin. Durant quelques minutes, un silence de mort, brisé par les bruits habituels des ranches, régna sur le duo. Il ne se passait rien. C’était trop calme ; Erin détestait ça. Toujours appuyée contre la porte, elle se surprit à reculer d’un ou deux pas lorsque Mirage revint à la charge, tentant certainement de sympathiser avec sa nouvelle propriétaire. La délinquante n’était pourtant pas de cet avis ... Hésitante, elle tendit la main vers le chanfrein de la noble bête, afin de la caresser ... mais se décida au dernier moment de rester à distance. Assez rancunière, elle continua son monologue – monologue destiné à son attribution.

- Espère pas de l’affection de ma part. Je dois juste m’occuper de toi puis je me casse d’ici, c’est aussi simple que cela.

La jument se montra alors agressive: elle coucha les oreilles, dilata ses naseaux et se recula vivement vers le fond de son box. Sasha resta immobile, analysant le moindre mouvement de l’animal. Elle avait l’habitude de faire ça, et était désormais capable de détecter leurs changements d’humeur. Pourtant, elle n’avait pas réussi à prévoir ce qui arriverait à son meilleur ami... L’image de ce dernier la frappa de plein fouet. Enervée, elle fronça les sourcils et serra les poings pour canaliser sa colère – chose qui n’était guère aisée chez un individu comme elle. Depuis toute petite, elle était connue pour être particulièrement explosive. Ses colères étaient redoutées, soyons d’accord sur ce point. Malgré cette facette de sa personnalité, elle était d’un naturel posé lorsqu’il s’agissait de pousser à bout les autres. En fait, lorsqu’elle pétait une crise, c’était parce que quelque chose ne lui avait pas plu, parce qu’une goutte d’eau avait fait débordé le vase. Dans la situation actuelle, elle ne trouva rien de... frustrant. Ou si, il y avait Mirage. Il y avait un cheval. Un membre de l’espèce de la bête qui avait tué Matthias... Les souvenirs continuaient à l’assaillir, ce qui ne facilitait pas ses efforts pour se maîtriser. Elle allait péter un disque dur, elle le sentait.
Un petit bruit la sortit de sa torpeur momentanée. Elle ne mit que quelques secondes avant de voir que Mirage se frottait aux barreaux de son box en la regardant de ses petits yeux noirs et brillants, émotifs et enjôleurs. Ho non ! La brunette n’était pas décidée à fondre devant les yeux de chien battu de sa monture. Elle ne craquerait pas ! Jamais ! Parole de Callaway ! Quoique... Elle commençait sérieusement à douter. Les trois quarts d’elle-même vouaient une rancune sans pareille aux équidés, la poussant à ne leur montrer aucun signe d’affection. Or, le dernier quart d’elle-même lui rappelait le bon temps qu’elle avait passé en présence de ces nobles bêtes... Elle se rappela d’un poney qu’elle montait dans sa jeunesse. Il avait séché ses larmes ; il l’avait rassuré ; il l’avait aimé et elle l’avait aimé aussi. Elle se souvint de leur relation fusionnelle. Et elle refreina immédiatement ces pensées qu’elle considérait comme malsaines. Non ! Elle resta figée sur place, n’admettant pas de faire le moindre geste.